lundi 15 août 2011

Samedi 16 août : heureux comme gay à Tel-Aviv


Le quinzième jour du mois d’av est, dans le calendrier hébraïque, la fête de l’amour. Sa tradition remonte aux temps bibliques, fête mineure, manière agréable de célébrer le milieu de l’été. Cette année, il coïncide avec le quinze août. Dans le cadre des festivités organisées un peu partout dans le pays, la maison des associations gays, lesbiennes et transgenres, récemment ouverte dans des locaux mis à disposition par la mairie de Tel-Aviv (alors qu’à Jérusalem, la Gay Pride, réduite à sa plus simple expression, donne chaque année lieu à des émeutes) a invité Moshik et Dory pour parler de leur rencontre. Dory raconte son départ pour Paris, après le service militaire, il y a quinze ans, car il ne voyait pas comment vivre en tant qu’homosexuel à Tel-Aviv. Il pensait même qu’il ne connaîtrait jamais l’amour.
— J’ai eu besoin d’habiter loin pour me l’autoriser, mais pendant longtemps, je ne pouvais pas avoir une histoire d’amour avec un Israélien : l’hébreu est une langue avec laquelle j’entretiens une grande intimité, en tant que poète et traducteur, et il me semblait impossible de concilier cette proximité avec une relation amoureuse. Cela a changé il y a cinq ans quand j’ai rencontré Moshik.
Dory et Moshik parlent un hébreu superbe. Ils sont doux, calmes, au contraire des gens qui interviennent dans la salle, posant des questions directes et parfois intrusives, quand ils ne répondent pas à leur téléphone portable. En les écoutant, je me dis qu’une rencontre de ce genre n’aurait pas lieu en France : a-t-on déjà entendu deux écrivains en couple parler de leur amour ? Jusqu’où doit-on se dévoiler plutôt que de laisser parler son œuvre ?
Après la rencontre, au café, nous abordons la question de l’homoparentalité. Moshik et Dory voudraient avoir des enfants. Je dis mon point de vue sur la question du mariage. Les associations homosexuelles parlent de discrimination car les homosexuels n’ont pas droit au mariage. À mes yeux, il y aurait ségrégation si un homosexuel n’avait pas droit au mariage, ce qui n’est pas le cas puisque tout être humain peut se marier avec une personne du sexe opposé. Dory semble consterné par mes propos. Je les atténue :
— Je ne ferai jamais rien, évidemment, contre ceux qui entendent la chose autrement.
La suite demain…

Vendredi 15 août : une ville méditerranéenne puante


Lu dans Rosebud de Pierre Assouline : « on croise ainsi des ombres familières là où l’on s’y attend le moins, qui envoient parfois de légers sourires, où la connivence se niche en secret ».

Je lis Dalia Rabikovitch. Moshik me conseille des poèmes, je les lis ensuite, cherche les mots difficiles dans le dictionnaire, les relis. Puis nous nous voyons et en parlons ensemble.

Couchée sur les eaux

 

Ville méditerranéenne puante
Prostrée devant les eaux
La tête entre les genoux
Le corps couvert de poussière et d’ordures.
Qui relèvera de l’abjection
Une ville méditerranéenne putride
Les pieds rongés par la gale,
Ses fils s’affrontent
À coup de couteau.

Et voici que la ville déborde de raisins et de prunes en cagettes
Au marché, les cerises s’offrent aux passants.
Le soleil au couchant rosit comme une pêche
Qui peut haïr sérieusement
Une ville méditerranéenne contaminée
Beuglante comme une vache en chaleur
Ses murs de marbre s’effritent en grains de sable.
Elle est vêtue de serpillières brodées
Mais elle n’y peut rien,
Elle n’y peut rien du tout.
Et la mer, pleine, jouxte son front aveugle.
Le soleil lui envoie ses rayons compatissants
Quand son courroux cesse à l’heure du coucher.
Courges, concombres et citrons gorgés de couleurs et de sucs
Lui soufflent le délicat plaisir de leur parfum d’été
Elle ne mérite
Ni amour ni pitié.

Ville méditerranéenne polluée
Pourquoi mon âme lui appartient-elle ?
C’est la vie,
Rien que la vie.