mercredi 31 août 2011

Dimanche 31 août : le vieux peintre yiddishophone


Visite à Yosl, le fils de Melekh. Il est un ami d’enfance de Shulem, le vétéran des animateurs de la Bibliothèque Medem, né à Varsovie le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1918, d’où Shulem (la paix). Yosl est nettement plus jeune : né à Vienne en 1921 ! En Israël, c’est un peintre connu. Au téléphone, je me suis recommandé de Shulem, mais cela n’a pas suffi.
— Rappelle dans quinze jours, je suis fatigué. Et puis je dois peindre. Je ne suis pas un artiste, je suis peintre, et les peintres peignent, ils ne parlent pas.
Quinze jours plus tard, il refuse toujours de me recevoir, j’insiste, je comprends qu’il est inutile de prendre rendez-vous pour un autre jour.
— Appelle-moi dimanche matin, on verra.
J’ai tenté ma chance ce matin.
— Bon viens tout de suite, mais pas plus d’une demi-heure.

J’entre. Il m’accueille fraîchement :
— Mais que veux-tu que je te raconte sur mon père ? Je suis peintre, laisse-moi peindre.
   En quelle année exactement a-t-il quitté la Pologne ?
   Des dates ? Tu crois que j’ai retenu les dates ? Je peux te raconter des histoires, mais pas te donner de dates, et que veux-tu faire avec ce carnet ?
   Noter ce que vous me dites.
Il fait un geste de la main comme s’il voulait me frapper. Je range le carnet, lui offre le premier numéro de la revue Gilgulim.
   C’est un cadeau de Shulem, pour vous.
   Gilgulim ?
   Une revue littéraire en yiddish, dont je suis le rédacteur.
   Il y a des poèmes de mon père ?
   Non, ce ne sont que des œuvres contemporaines.
   En yiddish ? En tout cas, c’est très joliment publié. Bon, sur mon père, tu n’as qu’à parler avec Rivkele, aux archives. Je vais l’appeler.
   Mais je consulte les archives depuis deux mois. J’ai lu ses mémoires aussi.
Il passe un coup de fil, tombe sur un répondeur, laisse un message en yiddish.
   Et alors, que veux-tu de plus ? Je suis fatigué.
   Je m’en vais.
   Mais pourquoi cherches-tu des renseignements sur mon père.
   J’écris un roman dont il est un des personnages.
   Un roman sur papa ??
Il me raccompagne à la porte. Je tente de lui poser une question sur son amour avec la poétesse yiddish Rokhl Korn.
— Ah, Melekh et les femmes… Tu sais, je le connais par cœur. Un père ne connaît jamais vraiment son fils, mais un fils connaît son père par cœur.