mercredi 31 août 2011

Dimanche 31 août : le vieux peintre yiddishophone


Visite à Yosl, le fils de Melekh. Il est un ami d’enfance de Shulem, le vétéran des animateurs de la Bibliothèque Medem, né à Varsovie le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1918, d’où Shulem (la paix). Yosl est nettement plus jeune : né à Vienne en 1921 ! En Israël, c’est un peintre connu. Au téléphone, je me suis recommandé de Shulem, mais cela n’a pas suffi.
— Rappelle dans quinze jours, je suis fatigué. Et puis je dois peindre. Je ne suis pas un artiste, je suis peintre, et les peintres peignent, ils ne parlent pas.
Quinze jours plus tard, il refuse toujours de me recevoir, j’insiste, je comprends qu’il est inutile de prendre rendez-vous pour un autre jour.
— Appelle-moi dimanche matin, on verra.
J’ai tenté ma chance ce matin.
— Bon viens tout de suite, mais pas plus d’une demi-heure.

J’entre. Il m’accueille fraîchement :
— Mais que veux-tu que je te raconte sur mon père ? Je suis peintre, laisse-moi peindre.
   En quelle année exactement a-t-il quitté la Pologne ?
   Des dates ? Tu crois que j’ai retenu les dates ? Je peux te raconter des histoires, mais pas te donner de dates, et que veux-tu faire avec ce carnet ?
   Noter ce que vous me dites.
Il fait un geste de la main comme s’il voulait me frapper. Je range le carnet, lui offre le premier numéro de la revue Gilgulim.
   C’est un cadeau de Shulem, pour vous.
   Gilgulim ?
   Une revue littéraire en yiddish, dont je suis le rédacteur.
   Il y a des poèmes de mon père ?
   Non, ce ne sont que des œuvres contemporaines.
   En yiddish ? En tout cas, c’est très joliment publié. Bon, sur mon père, tu n’as qu’à parler avec Rivkele, aux archives. Je vais l’appeler.
   Mais je consulte les archives depuis deux mois. J’ai lu ses mémoires aussi.
Il passe un coup de fil, tombe sur un répondeur, laisse un message en yiddish.
   Et alors, que veux-tu de plus ? Je suis fatigué.
   Je m’en vais.
   Mais pourquoi cherches-tu des renseignements sur mon père.
   J’écris un roman dont il est un des personnages.
   Un roman sur papa ??
Il me raccompagne à la porte. Je tente de lui poser une question sur son amour avec la poétesse yiddish Rokhl Korn.
— Ah, Melekh et les femmes… Tu sais, je le connais par cœur. Un père ne connaît jamais vraiment son fils, mais un fils connaît son père par cœur.

mardi 30 août 2011

Samedi 30 août 2008 : où le narrateur rencontre un garçon qui a tiré pour de vrai


Anne-Sophie m’envoie un lien vers un article du Monde : « En Israël, les recherches se poursuivent pour retrouver le corps de Rose ». J’ai vaguement entendu cette histoire aux informations mais, ayant une passion restreinte pour les faits-divers, n’y ai pas prêté attention. J’ai sans doute tort : un romancier devrait toujours rester en éveil.

Dîner hier soir chez Adina. Autour de la table, deux éditeurs et leurs épouses. La conversation tourne autour de livres et d’édition. À un moment, Hanan, mon voisin de droite, parle des jeux auxquels il jouait avec son frère quand il était petit.
—Vous  ne pouvez pas savoir combien de fois nous avons revécu tous les deux la Guerre d’indépendance. Il faut dire qu’on nous l’enseignait en long et en large à l’école. On utilisait une couverture pour confectionner notre retranchement, et on tirait, tatatatatac ! Nous avons procédé au moins cinq fois à la prise de Castel.
— Vous n’aviez pas de petits soldats, comme nous en France ? J’en possédais une armée entière.
— On n’en avait pas besoin : nous étions les héros du jeu, c’était formidable.

Nous parlons de bons restaurants, des vieux Kaffee-Konditorei de Tel-Aviv fréquentés par des yekes, des Juifs allemands d’un autre temps, qui se raréfient.
Adina :
— Dans le temps, la rehov (rue) Ben-Yehuda était appelée rehov Ben-Yehuda-Straße.

De Yehudit, le salon de thé hongrois du Gan ha’ir, le jardin de ville, où les serveurs sont habillés comme ceux de Budapest, en pantalon noir et chemise blanche. À Tel-Aviv, la chemise est beaucoup plus froissée.
— On y attend toujours des heures.
— Le serveur vous dit que c’est son collègue qui s’occupe de votre rang, et vice-versa.
— Mais les beignets y sont délicieux à Hanouccah.
— Le problème, c’est qu’ils vous les apportent à Pourim.

Quelqu’un évoque le film Valse avec Bachir, projeté dans les cinémas de la ville. Je l’ai vu avec Anne-Sophie il y a quelques semaines : il traite de la guerre en général, la guerre du Liban et le massacre de Sabra et Chatila. Un film d’animation qui est en fait un documentaire : les personnages qui y sont montrés sont réels. Je le réalise en en parlant avec les convives, car contrairement aux autres, je ne connais pas les personnages, je ne suis pas d’ici.
— Jamais personne, depuis que je vis dans ce pays, ne m’a parlé de ce qu’il a fait dans l’armée, encore moins pendant la guerre du Liban. Il a fallu presque trente ans pour que les langues commencent à se  délier.
Hanan n’a pas fait l’armée : il a été réformé contre son gré. Quant à moi, au lieu du service militaire, j’ai passé dix-huit mois à Jérusalem à administrer un institut chrétien d’études juives dans un couvent.
— Un des moments très forts du film, c’est quand on voit les jeunes soldats tirer sans réfléchir.
Ilay, à ma droite, intervient :
— Mais c’est bon de tirer, c’est un kif.
Les regards se tournent vers le seul à avoir fait le service militaire, puis, pendant quinze ans, des périodes de réserve de deux à trois semaines par an.
— J’ai été incorporé en 1988, au moment de la première Intifada. J’ai beaucoup été à Gaza, à l’époque. La première Intifada, c’était surtout des gamins qui jetaient des pierres. Dit comme cela, ça a l’air cool. Sababa. Mais c’était des avalanches de caillasses, qui pouvaient être très meurtrières, des morceaux énormes parfois, ou des blocs qui vous tombaient dessus d’une fenêtre. Nous étions en tension permanente. J’ai vu des soldats faire des choses pendant cette période. J’ai vraiment vu des gens faire des choses, et je peux vous dire que ça peut arriver à tout le monde. Enfin, non, peut-être pas à tout le monde, mais à beaucoup de gens.
— De faire quoi ?
— De franchir la limite. Ça peut arriver à beaucoup de gens, et on ne sait pas à l’avance à qui cela peut arriver.
Pendant un instant, je me demande si je vais lui poser la question. Je l’observe : il a envie de raconter mais il s’interroge en miroir : ont-ils envie d’entendre ?
Du bout des lèvres :
— Quel genre de choses.
— Des choses.
— Par exemple ?
— Par exemple brancher les fils d’un téléphone de campagne sur les testicules d’un Palestinien. J’ai vu des gens faire ça, je n’aurais pas imaginé avant qu’ils en étaient capables. Moi, j’étais infirmier, donc je n’étais pas en première ligne. Je me souviens : un jour, un Palestinien était à terre, blessé, derrière une jeep. Nous nous sommes éloignés quelques instants pour faire je ne sais plus quoi, et quand nous sommes revenus, le Palestinien gisait toujours, mais la tête éclatée : le conducteur de la jeep avait reculé et lui avait roulé dessus.
— Volontairement ?
— Oui. Pourquoi ? Exaspéré, peut-être, de ces pierres dont nous étions la cible presque en permanence.
— D’autres cas ?
— Il faut comprendre : on te dit que tu vas consacrer trois ans de ta vie à l’armée alors que tu as dix-huit ans. C’est long, trois ans. On t’entraîne. On te donne une arme que tu n’as pas le droit de quitter. Tu dors avec dans ton sac de couchage. Elle est ta compagne de tous les instants, tu fais corps avec elle. Et pendant deux ans et demi, il ne se passe rien. Pas de guerre. On t’entraîne pour quelque chose qui n’arrive pas. Tu fais des marches interminables, sous quarante degrés, tu manges une nourriture infâme, tu fais des sacrifices pour rien. Tu es un gamin, dix-huit, vingt ans. Et puis tout-à-coup, tu as une raison de tirer, alors tu tires.
Hanan :
— On dit que Tsahal est une des armées qui utilisent le plus de balles.
— Sur cent, une seule balle atteint un but. Les autres se perdent dans la nature. On nous apprend cela, c’est pourquoi on tire beaucoup.
— La centième touche le but.
— J’ai aussi servi au Liban, dans la bande de sécurité qu’Israël avait constituée pour protéger les populations de Galilée de l’ennemi venu du nord. Nous avions capturé deux terroristes. Nous les gardions, attachés, en attendant les ordres. Un soldat est arrivé. Il va voir les prisonniers et il revient : « Ils n’ont pas l’air très frais, vous leur avez donné à boire ? » Nous nous sommes regardés : nous n’y avions pas pensé. Le type nous a disputés : « Mais enfin, vous avez quoi dans la tête ? Il faut les nourrir, leur donner à boire au moins toutes les deux heures ». Il y est allé, leur a parlé en arabe. Pour nous, c’était juste des ennemis.
— Il parlait arabe ?
— Oui, c’était un type simple, Marocain, ou Kurde. Nous étions des Ashkénazes, de Tel-Aviv, des gens évolués. Mais l’événement qui m’a le plus frappé… je vous l’ai dit : je n’ai pas fait la guerre comme dans Valse avec Bachir… j’ai été très peu confronté à l’ennemi, juste de toutes petites fois, des individus isolés. Je n’ai pas connu les grandes offensives où ça va si vite que l’on n’a même pas le temps de réfléchir. Un de mes copains était au Liban : il a tué par erreur un de ses camarades. Un peu plus tard, il est mort.
— Il s’est suicidé ?
— Je ne crois pas. Mais on dit qu’il n’a pas fait grand-chose pour se protéger.
Ilay reprend son souffle et revient à sa propre histoire :
— C’était à la frontière libanaise, à nouveau. Deux terroristes avaient voulu s’infiltrer, et avaient été descendus. Une équipe est arrivée pour examiner les corps avant qu’ils soient évacués. Il fallait d’abord s’assurer qu’ils n’étaient pas bardés d’explosifs, et prendre des relevés, je ne sais pas quoi exactement. Mais ceux qui font cela sont des gens très formés. Ils étaient deux. Ils ont fait leur travail, et ensuite, l’un a demandé à l’autre de le photographier devant le cadavre d’un des terroristes. J’hallucinais. Et là, je suis intervenu et je lui ai dit qu’il ne pouvait pas faire ça. Il s’est abstenu. C’était une des premières fois que je voyais un cadavre, mais ce n’est pas le cadavre qui m’a dégoûté. Ce qui m’a marqué pour toujours, c’est l’attitude de ce soldat qui voulait se faire photographier comme devant la dépouille d’un lion dans un safari.
— Il t’arrive de faire des cauchemars, comme dans Valse avec Bachir ?
— Pas vraiment. Une seule fois : nous étions à la frontière syrienne. Deux types s’étaient infiltrés. Nous, les soldats, les prenions en chasse. Mais le pire est arrivé quand je me suis réveillé : j’avais un bon souvenir de ce rêve. Le suspens, la tension. C’était un kif, ce rêve.
— Que sont devenus les deux infiltrés ?
— On a fini par les trouver, on les a abattus.

Concours de circonstances (ou signe des temps) : Moshik m’a conseillé d’aller voir, à la Cinémathèque, le nouveau film d’Avi Mugrabi, Z32. J’y vais ce matin, après le petit déjeuner. L’histoire d’un jeune soldat qui a participé à l’assassinat de deux policiers palestiniens, en représailles de la liquidation de six soldats israéliens par des Palestiniens. Le problème : les deux Palestiniens assassinés n’étaient pas ceux qui avaient tué. Il s’agissait d’un acte de pure vengeance collective, commandité par le chef de ce jeune soldat et de ses camarades de brigade. Le film est constitué en partie d’un dialogue entre ce garçon et sa petite-amie. Il lui demande de lui pardonner, mais la jeune fille, qui vient d’apprendre ce que son ami a fait, est encore consternée par la nouvelle. Elle ne peut rien dire.
Les jeunes gens apparaissent masqués de différentes manières, c’est aussi un des sujets du film : comment montrer sans se montrer. Comment témoigner sans risquer la vengeance, ou d’être trainé devant les tribunaux internationaux pour crime de guerre.
Avi Mugrabi se met en scène dans le film. Il chante, accompagné par un orchestre de chambre : « Ma femme me dit que ce n’est pas un sujet pour un film, pourquoi faire rentrer dans notre salon ce qui est arrivé dans un non-lieu ? »
La suite demain… 

lundi 29 août 2011

Vendredi 29 août 2008 : Juifim à Jaffa


La ville s’est vidée de ses touristes français comme une chasse d’eau. Dory et Moshik m’ont emmené dans un restaurant de spécialités tripolitaines de Jaffa. Dory dit tripolitaines, mais j’y reconnais tous les plats que je mangeais dans la famille de mon cousin par alliance, des Tunisiens : couscous au poisson, bkhaïla. Je prends une lubia, délicieux ragoût d’épinards, de haricots et de viande, je n’en avais pas mangé depuis vingt ans. À la table à côté, six Juifs français d’origine tunisienne droits sortis de leur réserve naturelle : Sarcelles, ou Créteil. Les filles sont obèses à vingt-cinq ans, les hommes ont les cheveux longs et crépus, gominés et ramenés en arrière. Ils portent des kipas.
— Elles ressemblent à celles que l’on trouve en libre-service à l’entrée des cimetières, élimées.
— Ils ne les portent pas en permanence : la kipa est généralement rangée dans la poche arrière du jean, et ils la mettent pour entrer dans une synagogue, faire la prière le vendredi soir quand ils vont chez leur mère, et à la descente de l’avion  à l’aéroport Ben Gourion. Ils ne la quittent plus, même pas pour aller aux toilettes.
— J’ai suggéré au père de Moshik de nouveaux modèles de bijoux pour attirer cette clientèle qui ne regarde pas à la dépense.
— Un pendentif représentant une carte en or du Grand Israël, avec un diamant pour figurer Jérusalem.
— Et une perle pour Kiryath-Arba.
— Une paire de phylactères en fil d’or avec écrit dessus « La France, c’est de la merde ».
— Estampillé Hermès.

En sortant, je dis à Dory qu’il est fou de vouloir traduire ce poème de Mallarmé en hébreu. Il sourit : je ne l’ai pas convaincu.
La suite demain… 

dimanche 28 août 2011

Jeudi 28 août 2008 : le chien qui regardait la télévision en russe


Visite à David, le fils de Peretz, à Or Yehuda (La lumière de Judée) en banlieue de Tel-Aviv. Benny m’a prévenu que le lieu présentait peu d’intérêt : les seules curiosités sont les gargotes irakiennes qui servent de délicieux koubés.
David est né à Moscou en 1938. Il est écrivain de langue russe. Il me reçoit dans une grande maison en pagaille. Au rez-de-chaussée, une gros téléviseur est branché sur une chaîne russe sans personne devant pour la regarder, si ce n’est un boxer qui s’est mis à aboyer à mon arrivée et ne cesse de me faire la fête, heureux de ce peu d’animation qui vient troubler une journée entière devant la télévision. Au premier, l’hôte frappe à une porte, une tête de femme apparaît avec laquelle il échange quelques mots en russe. Nous arrivons sous le toit, dans une grande pièce, le bureau de l’écrivain, ou plutôt un sanctuaire dédié à ses propres œuvres et à son père. Il dit au chien, en russe, de se calmer. Partout, des bustes, des portraits, des reproductions présentant le visage de Peretz. Il faut dire qu’il remporte la palme du plus bel écrivain yiddish, et pourrait concourir pour celle du plus bel homme. Je reconnais l’un des bustes, un moulage en plâtre : il a été effectué par la demi-sœur de David, que Peretz a eue d’une première femme en Ukraine en 1930. Olga habite Kiev. Elle était venue à la Bibliothèque Medem il y a une quinzaine d’années et nous avait offert un autre exemplaire de ce buste.
Avant de me proposer de m’asseoir sur un fauteuil face à lui, il le dégage d’un pantalon froissé et d’un sous-vêtement déjà porté. Sur la table s’amoncèlent des livres et des papiers.
David n’est pas aussi beau que son père. À soixante-dix ans, le teint rougi par la vodka, le contraste est saisissant avec les images de Peretz quand il avait vingt ans. Peretz a été assassiné le 12 août 1952 sur ordre de Staline, il avait cinquante-sept ans mais on le montre en général avant son installation définitive en Union soviétique, en 1926.
— Que faisait votre grand-père ?
— Melamed, instituteur religieux pour enfants en bas âge.
— Comment s’appelait-il ?
— David ?
— Comment se fait-il que votre frère aîné s’appelait Simon et que c’est vous, le cadet, qui portez le nom du grand-père ?
— Parce que le grand-père n’était pas encore mort quand Simon est né.
J’aurais dû y penser tout seul.
— Combien de frères et sœurs avait votre père ?
— Quatre sœurs et un frère.
— Pourquoi a-t-il quitté la Russie en 1921 ?
— À l’époque, il pensait qu’il n’y avait pas de place pour un écrivain yiddish en Russie. Il a cru qu’à Varsovie, ce serait autre chose. Mais il a vite déchanté. Il est venu en Palestine, en 1923, en même temps que son ami Uri-Tsvi, qui est resté. Ce dernier a changé de langue, il a arrêté d’écrire en yiddish et n’a plus écrit qu’en hébreu.
— Votre père ne pouvait pas écrire en hébreu ?
— Il n’avait qu’un pays : la langue yiddish.
— Pourquoi est-il retourné en Union soviétique en 1926.
— Des écoles yiddish ouvraient, des organes de presse, des universités. Le yiddish avait été déclaré langue officielle de la nationalité juive de l’Union.
— Était-il communiste convaincu ?
Il rit.
— Il était tout sauf communiste. Révolutionnaire, oui, mais en littérature.
— A-t-il eu envie de quitter le pays, plus tard ?
— Oui, une lettre envoyée à Melekh à la fin des années 1920 le prouve, mais on ne l’a plus laissé partir.
— S’occupait-il beaucoup de ses enfants ?
— Pas le genre.
— Quelles relations entretenait-il avec les autres écrivains yiddish d’Union soviétique ?
— Il détestait Itsik Fefer. Fefer était un agent du KGB. Des écrivains venaient chez nous, à Moscou, et parlaient yiddish toute la soirée.
— Et vous n’avez pas appris la langue avec toutes ces soirées ?
— Je ne suis pas doué en langue.
À l’entendre parler un hébreu approximatif après trente-six ans dans le pays, j’aurais dû m’en douter.
Ils habitaient rue Gorki, une rue centrale de Moscou, dans un immeuble où logeait la Nomenklatura. L’écrivain russe Alexei Tolstoï habitait l’étage au-dessus. En 1938, Peretz reçoit le prix Lénine. On lui dit alors qu’il n’a pas le choix : un prix Lénine doit présenter sa candidature pour rentrer au parti communiste. Peretz est accepté en 1942. Il est arrêté en 1949, assassiné en 1952 avec la fine fleur de la culture yiddish d’Union soviétique. David, Simon et leur mère sont envoyés en exil au Khazakstan, dans une bourgade où quatre-vingt dix pour cent de la population est constituée d’exilés qui ne savent pas ce qu’ils ont fait de mal. En fait, ils n’ont rien fait de mal.
Les trois sont réhabilités quelques années plus tard. Ils récupèrent une pièce, puis deux de leur appartement, et y vivent jusqu’à ce qu’ils obtiennent l’autorisation d’émigrer, en 1972. Simon se fixe à Genève, David et sa mère à Tel-Aviv. Esther habite toujours avec son fils, sous nos pieds dans un petit appartement du rez-de-chaussée de la maison, mais je n’ose pas demander à la rencontrer.

Entendre appeler « papa » l’auteur de Di kupe, l’un des chefs-d’œuvre de la poésie yiddish, me donne des frissons.
— Vous reste-t-il des archives ?
— J’ai tout donné au département d’études sur l’Europe orientale de l’Université de Tel-Aviv.
— Comment les avez-vous sorties d’Union soviétique ?
— Nous les gardions dans une cachette secrète dans l’appartement à Moscou, et dans les années 1960, je me suis arrangé avec un employé de l’ambassade d’Israël. Il les a fait sortir et je les ai récupérées à mon arrivée ici.

Nous nous quittons. Je suis un peu ivre de cette rencontre. Un taxi m’attend. J’en oublie d’aller manger une soupe de koubé. Le chauffeur est russe, il parle à peine l’hébreu et me dit :
— La personne qui a commandé le taxi était russe, n’est-ce pas ?
— Il s’agit de David, le fils de Peretz Markish.
— …
— Le grand poète yiddish.
— Connais pas.

samedi 27 août 2011

Mercredi 27 août 2008 : l'art du grand écart


Benny me parle de sa tante Hayke, arrivée de Czernowitz (aujourd’hui Cernauti, en Bukovine) à l’âge de quatre-vingt-dix ans en 1998, morte l’an dernier. Lorsqu’elle lisait le titre du quotidien Haaretz (Le pays, en hébreu), elle lisait Hartz (Le cœur, en yiddish). Je rappelle à Benny que j’attends un texte en yiddish de lui, pour ma revue Gilgulim.
À propos de l’article qui est paru en première page du journal pour lequel il travaille, sur le déferlement des touristes français :
— Je ne comprends pas la violence des Israéliens. Pour moi, c’est de l’antisémitisme.
Nous évoquons ses deux sœurs qui habitent des implantations des territoires. Il leur rend parfois visite, il n’est pas de ces Tel-aviviens qui se sont séparés, dans leurs têtes, des territoires, par obligation familiale. Mais sinon, il est comme ses amis : il vérifie les étiquettes dans les magasins pour éviter d'acheter des produits fabriqués par-delà la ligne verte..
— Mes sœurs m’acceptent comme je suis, ce qui n’est pas un mince effort dans leur milieu. Je les accepte comme elles sont.
Quant à partir habiter à l’étranger :
— Ici, je suis dans ma culture. Et si le pays sombre, je veux sombrer avec lui.

vendredi 26 août 2011

Mardi 26 août 2011 : que reste-t-il ?


Déjeuner à Jérusalem avec Simon. Il est le fils d’un militant du yidisher arbeter-heym, le Foyer ouvrier juif, l’antenne parisienne du poalei-tsion, les sionistes de gauche qui ont donné corps au parti travailliste israélien. En Pologne, ce mouvement a beaucoup défendu la langue yiddish, il était notamment l’un des partis associés, avec le Bund et le parti folkiste, dans la Tsisho, la grande organisation des écoles yiddish qui s’est épanouie entre les deux guerres. Mais du fait de son sionisme, à partir du moment où l’hébreu a été choisi comme langue du futur état juif, les poaley-tsionistes se sont trouvés en porte-à-faux, et l’hébreu a finalement gagné la partie. Ainsi, quand Simon avait douze ans, son père lui a fait apprendre l’hébreu plutôt que le yiddish. À présent, après avoir longtemps mis de côté cette facette de son identité — la yidishkayt —, il s’y intéresse à nouveau, l’âge aidant. Avant de nous séparer, je lui fais part de ma surprise devant le racisme ambiant.
— Quand les Israéliens te demandent comment l’on peut vivre en Europe avec autant d’Arabes, c’est autre chose : une projection, l’expression d’une angoisse de la situation israélienne.
Il conclut, exprimant son pessimisme :
— Il ne reste rien de la société travailliste que j’ai connue en arrivant, le pays est livré au capitalisme le plus sauvage, Jérusalem devient irrespirable du fait de la prédominence des Juifs religieux. Le nationalisme de mes concitoyens m’effraie et du côté palestinien, ce n’est pas mieux. Eux aussi ont changé, ce ne sont pas les mêmes que dans le temps : ils se sont radicalisés, politiquement et religieusement.

jeudi 25 août 2011

Lundi 25 août 2008 : Jaffa vue de la mer


Raphaël B. m’emmène en bateau. Nous voguons pendant une heure et demi sur la Méditerranée au (petit) large de Tel-Aviv. Nous descendons vers le sud et longeons la côte jusque Jaffa Je vois la ville pour la première fois depuis la mer, comme nombre de voyageurs, d’immigrants. Jaffa porte bien son nom, la belle. Le contraste est saisissant entre Tel-Aviv la centenaire et Jaffa qui n’est pas loin des quatre mille bougies.
Nous sommes passés devant tous les bâtiments du bord de mer que l’on voit normalement du dessous. Les blocs de béton des grands hôtels sont (un peu) moins hideux vus de loin. Certains immeubles effrayants vus de dessous ne manquent pas d’une certaine classe malgré tout, comme la tour Opéra. D’autres sont des verrues plantées là pour des décennies, dommage. Entre Tel-Aviv et Jaffa, en bord de mer, se trouve un édicule, une ancienne maison arabe réhabilitée, la partie reconstruite étant résolument moderne, structure de verre teinté. Il s’agit du musée du Etsel, l’Organisation militaire nationale, communément appelée l’Irgoun, créée en 1931 après une scission d’avec la Haganah, la milice des sionistes de gauche. Bras armé du parti révisionniste de Jabotinsky, Le Etsel fut dirigé à partir de 1943 par Menahem Begin. Je ne suis jamais entré dans ce bâtiment, seulement passé devant de nombreuses fois, et il y a quinze jours, en allant me baigner un samedi après-midi, je suis tombé sur une plaque à l’entrée, « à la mémoire des combattants du Etsel qui ont lutté pour la libération de Jaffa ». Comprendre : la victoire des Juifs sur les Arabes lors de la guerre d’indépendance. Qu’en pensent les quelques dizaines de milliers d’habitants arabes qui persistent à  Jaffa ? Quelle identification peuvent-ils trouver avec l’État dans ces conditions ? Mais l’État n’attend aucune identification de leur part. Les politiques officielles et officieuses n’ont cessé de se succéder depuis 1948 pour les faire partir de la ville et transformer petit à petit cette colline du bord de mer en quartier résidentiel. Jaffa sera-t-elle aussi belle quand il n’y aura plus un Arabe ?

Dory me parle du film de Nurith Aviv.
— C’est un très beau film.
Roy y dit des choses formidables.
— C’est le meilleur des intervenants.
— Je l’ai redécouvert à Tel-Aviv. À Paris, il était beaucoup plus mal à son aise. L’air de Tel-Aviv lui fait du bien. C’est un garçon d’une grande finesse.
— Un des meilleurs traducteurs que je connaisse. Il pourrait être un grand poète : ses métaphores sont parmi les plus fortes que j’ai lues. Mais il n’ose pas montrer ce qu’il écrit. C’est dommage.

Et je n’ose pas lui demander quelle a été leur relation, ce qui les a éloignés l’un de l’autre. Ont-ils été amoureux ?

mercredi 24 août 2011

Dimanche 24 août 2008 : à moins que ce ne soit le mercredi 24 août 2011


À la date du 24 août 2008, rien dans mon journal, comme si une place s’était faite, étrange prescience, pour le roman sur lequel je travaillais alors, perdu et retrouvé dans Tel-Aviv, le roman qui à l’époque s’écrivait sous le titre Palais de mémoire, et qui porte en définitive celui D’un Pays sans amour. Et que les éditions Grasset publient aujourd’hui. Qu’avais-je fait ce 24 août 2008 ? Que n’avais-je pas fait ? Qu’avais-je fait qui ne méritait pas d’être raconté, qui ne pouvait être livré ?
C’est donc le moment de faire une pause dans le cours de l’été 2008 et de se pencher sur cet août 2011, celui de l’attente de la sortie D’un pays sans amour. Un Désert des Tartares. Comme le coup de fil d’un amoureux que l’on ne cesse de guetter et qui ne vient pas. Le jour de la sortie, que se passe-t-il ? Rien. Comme dans le journal de Louis XVI en date du 14 juillet 1789. Des libraires ouvrent des cartons, ils posent des exemplaires du livre sur une table, des clients l’achètent peut-être, sans doute, et sans doute ces mêmes lecteurs se mettent-ils à le lire mais l’auteur l’ignore. Il est pris dans son attente du rien. Car un lecteur prend son temps. Il mettra un jour, une semaine, un mois à lire un livre que vous avez mis quatre ans à écrire. Il le fera dans l’intimité de son lit, à la table d’un café, sur la banquette d’un TGV, dans la salle d’embarquement d’un aéroport, dans ses toilettes, sur son Ibook mais il n’en dit rien. Car un lecteur s’imbibe, il ressent ou ne ressent pas, mais n’exigez pas de lui qu’il vous dise. Ne vous trompez pas : c’est vous l’auteur. Vous exprimez. Vous en avez l’obligation. C’est pour cela qu’on vous paie. Lui a payé pour qu’on lui fiche la paix, qu’on le laisse à l’intimité de sa lecture. La tragédie de l’écrivain est là : ne jamais rencontrer vraiment son lecteur. Etre sans cesse dans l’ignorance de qui a lu. D’autant plus que, le livre est terminé, quand l’auteur l’a livré, il s’en est détaché, au point que si on lui cite une phrase, mentionne une situation, parfois, il ne s’en souvient plus.
Pourquoi publier un journal que l’on ne peut qualifier d’intime puisque dès sa conception il avait vocation d’être publié ? Pourquoi le livrer trois ans plus tard et non sur le vif ? Le tri se fait entre les moments d’une vie, ceux que l’on brûle de raconter mais qui vous brûlent justement dès que vous imaginez de les dire, d’autres si ordinaires qu’ils n’apparaîtront pas (passé par le supermarché à trois heures du matin, acheté un tube de dentifrice et deux yaourts ; changé deux cents euros à un taux moins favorable qu’il y a une semaine ; penser à recharger mon téléphone).
Certains moments d’une vie vous brûlent sur l’instant, l’idée vous effraie de les dire, mais trois ans plus tard, leurs braises se sont éteintes, ils sont devenus l’ordinaire de votre vie. Je ris à présent de ce qui me faisait rougir à l’époque. Il y a les scènes, les rencontres, les émotions que vous avez écrites car vous avez cru un instant que ce journal devait être intime, comme ceux que ces adolescentes séquestrent sous un cadenas, mais que vous finissez par soustraire car trop impudiques. L’adjectif rime-t-il avec écrivain ? On pourrait penser que non. Et pourtant… La création littéraire n’est qu’un long combat intérieur entre le dit et le tu, ce que l’on tord pour se préserver, ce que l’on attribue à quelqu’un d’autre comme si ce n’était pas soi, ce que l’on décide de garder, pour un autre livre peut-être, quand le cours des jours vous aura libéré davantage.
Et il y a ce livre, D’un pays sans amour, qui le 24 août 2008 était en train de s’écrire sous mes doigts, sous mes yeux, et qui aujourd’hui va s’installer sur les tables des libraires. Son écriture a accompagné ma vie durant quatre ans, à moins que ce ne soit l’inverse : je l’ai suivi partout où il m’a mené, dans les villes qu’il traverse, Varsovie, Lemberg, Berlin, Vienne, Cape Town, Paris, Moscou, Tel-Aviv, les bourgades juives du vieux monde aujourd’hui disparues, Bilkamin, Radimno, Polonnoye ; dans les escales de son écriture, Leuk, Paris, Aix-en-Provence. Tel-Aviv. Où toujours je retourne.
Et alors que j’écris ces lignes, assis à la terrasse du café Noah, rue Ahad-Haam, en ce 23 août 2011 à 12h17 (un journal est mensonge : la note sera publiée le 24 mais elle a été écrite la veille) jour anniversaire de mon frère adoré (acheté une carte de téléphone internationale pour l’appeler, où es-tu ? Mais quelle question de peu d’importance à l’heure des téléphones portables, des wifi, des Skype, des Facebook), à trente mètres de l’angle des rues Bar-Ilan et Feuerberg où j’ai un jour embrassé une âme avant de reprendre un avion, un corps que j’espérais de tout mon cœur retrouver mais qui s’est échappé et que je retrouverai sans doute dans le manuscrit qui monte, mon prochain roman certainement, l’histoire de la rencontre d’un daltonien et d’un peintre, à la terrasse de ce café où j’attends en vain son appel et où j’attends, moins vainement malgré tout, la sortie d’Un pays sans amour, je reçois un mail d’Arno, le traducteur hébreu d’un précédent de mes romans : « Je suis en train d’avaler ton livre, c’est passionnant ! », comme pour me contredire, infirmer tout ce que je viens d’écrire, un de ces lecteurs qui un jour, éprouvent le besoin de dire ce que, dans l’intimité de leur lecture, ils ont ressenti. Un petit bonjour amical surgit d’une Atlantide : la lecture.

mardi 23 août 2011

Samedi 23 août : où deux écrivains parlent boutique

Après-midi au café avec Moshik. Longue conversation sur son manuscrit en cours. Il me raconte l’histoire, inspirée d’événements arrivés à des membres de sa famille paternelle. Le roman se déroule entre Damas et Paris, la cour du Sultan et une petite bijouterie située dans une ruelle de la première ville hébraïque. Il y est question d’amour, d’un diamant volé et de trahison. Ça donne envie de lire. Moshik a fini un premier jet et ne sait pas comment avancer, il me demande des conseils car il se heurte aux difficultés qui ont été les miennes après avoir terminé Projections privées : articuler plusieurs histoires et plusieurs époques. Je me sens vieux (nous avons treize ans d’écart), un peu grand frère. Son problème : il n’a pas une Florence comme éditrice pour pointer, mettre le doigt, faire prendre conscience des lignes de faiblesse du texte. Il se retrouve devant une succession de chapitres qu’il peine à agencer. Sans avoir lu le roman mais en connaissant l’histoire, je me permets de lui donner des pistes. Puis nous lisons ensemble Unter dayne vayse shtern, l'un des petits chefs d'œuvre que Sutzkever a écrits dans le ghetto de Wilno. Moshik me guide dans la poésie hébraïque, je lui tiens la main dans la littérature yiddish, mes coups de cœur, les poèmes qui le font vibrer.

lundi 22 août 2011

Vendredi 22 août 2008 : d'un racisme l'autre


Qu’a donc dit la presse israélienne sur la France il y a quelques années ? Le gens ici ont la sensation qu’il y règne un antisémitisme débridé. Lors de la rencontre à l’occasion de la Fête de l’amour, quelqu’un a demandé à Moshik et Dory s’ils avaient quitté Paris du fait de l’antisémitisme. Et régulièrement :
— Le fait que l’Europe est envahie par les Arabes ne t’angoisse pas ?
Depuis quatorze ans que je travaille à la Maison de la culture yiddish, nous avons reçu deux lettres anonymes antisémites et une fois, des croix gammées barbouillées sur les murs extérieurs. C’est trop bien sûr, mais on est loin de la Nuit de Cristal. Mes fils me disent que dans leur collège, qui est un des plus populaires de Paris, avec plus de la moitié des enfants d’origine maghrébine ou africaine, ils n’ont jamais eu une remarque antisémite. Tout le monde sait pourtant qu’ils sont juifs.

Moshik me dit souvent que ses compatriotes sont racistes. Ce qui le choque le plus, ce sont les homosexuels qui militent pour être acceptés par la société et qui expriment un racisme virulent.

Quand j’essaie d’expliquer à mes interlocuteurs que la population arabe en France est en cours d’intégration à la société française, ils ne comprennent pas. Évidemment, ici, les populations juives et arabes sont totalement séparées. Elles vivent dans des villages distincts, et dans les villes à population mixte, dans des quartiers différents. Les mariages intercommunautaires sont rarissimes et souvent stigmatisés par les deux populations. Quand je raconte qu'en France, les médias se font un plaisir de monter en épingle le petit pourcentage de la population d’origine maghrébine qui veut rester en marge, mais que l’immense majorité est en train de totalement s’intégrer, les gens sont dubitatifs.

Je finis par demander à Dory s'il a eu la sensation d'une quelconque invasion barbare quand il habitait Paris, il me répond :
— Les quartiers les plus attirants de Paris sont Belleville et le 18e arrondissement, c'est là que je me sentais le mieux.
La suite demain…

dimanche 21 août 2011

Jeudi 21 août 2008 : langue sacrée, langue parlée


Je regarde Langue sacrée, langue parlée, le nouveau documentaire de Nurith Aviv sur la langue hébraïque. La réalisatrice m’a demandé d’animer un débat sur le film deux jours après mon retour à Paris, fin septembre. Pour la première fois, un film aborde cette langue dans sa complexité. On sort du discours de propagande qui veut que l’hébreu ait été une langue morte pendant deux millénaires et qu’il ait été ressuscité au début du XXe siècle. En faisant parler une dizaine d’écrivains hébraïques, la réalisatrice montre toutes les couches constitutives de la langue : la Bible hébraïque, l’hébreu de la Mishna, l’araméen du Talmud, la littérature rabbinique qui ne cesse de façonner la langue pendant vingt siècles de Diaspora, la poésie de l’Espagne médiévale, les écrivains d’Odessa et de Varsovie à la fin du XIXe siècle, l’importance du chant liturgique dans la vie quotidienne des communautés sépharades, le yiddish comme conservatoire de l’hébreu pendant mille ans.
C’est émouvant de voir ce film à Tel-Aviv. Chacun dans son genre, ces onze écrivains en parlent magnifiquement, la langue vit de belle manière dans leur bouche. Roy est celui qui me touche le plus. Est-ce parce que je le connais ? Il parle de la langue maternelle — l’hébreu de tous les jours — et de la langue du Père suprême — l’hébreu de la synagogue —, la confrontation de ces deux langues dans sa tête d’enfant. Puis il raconte comment il a fait un détour par la Diaspora — l’Allemagne puis la France — pour découvrir le yiddish qui lui a permis de renforcer encore son intimité avec la langue hébraïque.
J’ai connu Roy quand il était étudiant à la Sorbonne. Il y a soutenu un DEA de littérature yiddish sur Di kupe (Le Tas), le chef-d’œuvre de Peretz. À Paris, il paraissait emprunté, mal dans sa peau. Dans le film, on perçoit un embarras, la manière de poser son corps n’est pas très naturelle.
La suite demain…