vendredi 19 août 2011

Mardi 19 août 2008 : où le narrateur décide d'appeler son journal "Un été boulevard Rothschild"


Depuis que je suis arrivé, je travaille en parallèle sur mon roman et sur ce journal. Au début, j’ai craint que l’un dérange l’autre, et finalement, ils vont bien ensemble : ils se partagent mes journées. À Paris, je suis pris la moitié du temps par mon travail de directeur de la Maison de la culture yiddish, l’après-midi à partir d’une heure jusqu’au soir. Le matin, j’écris. C’est toujours un peu la course. Car je ne me mets pas immédiatement à gratter, j’ai besoin de me glisser dans l’écriture, d’abord relire ce que j’ai composé la veille, c’est là que commence le travail de modification, ensuite je continue ce que j'ai laissé la veille. Pendant longtemps, quand je me levais matin, j’étais persuadé que je n’y arriverais pas. À présent, j’ai toujours cette sensation, mais je sais qu’en définitive, j’y parviens, puisque j'y parviens  depuis tant d'années. Je n’écris jamais longtemps, une heure ou deux. Des fois, vingt lignes. D’autres, trois ou quatre pages.
À Tel-Aviv, c’est royal. Au début, je culpabilisais de pouvoir ne faire que des activités plaisantes : mener des recherches pour mon roman, écrire ce journal, écouter Antoine Compagnon me parler de Proust, voir mes amis, rencontrer de nouvelles personnes, me baigner, lire, prendre des douches, déchiffrer de la poésie hébraïque, rentrer dans le monde de Melekh, Peretz et Uri-Zvi. À présent, plus de culpabilité, car en définitive, je rentrerai en France avec deux textes : une partie de mon roman, écrite sur une table de cuisine (sur mon ordinateur, tout de même), et ce journal, écrit dans des cafés, des autobus, à la bibliothèque quand j'attends la communication d'un livre, dans mon lit au milieu de la nuit, et qui s’appellera, j’en ai décidé ainsi, Un été boulevard Rothschild. Pour le roman, ce sera peut-être En mon palais de mémoire. Ou alors Palais de mémoire. C’est Antoine Compagnon qui m’a soufflé ce titre. N’est-ce pas dans un palais de mémoire que trône Sulamita, la narratrice presque centenaire de la vie de Melekh, de Peretz et d'Uri-Zvi, habite à Rome ? N’est-ce pas la mémoire de la Varsovie d’entre les deux guerres, de l’Atlantide juive, qu’elle a essayé de réunir sur les étagères de son palais décoré de fresques Renaissance, transformé en bibliothèque d’une civilisation engloutie ? Il s'appellera ainsi, à moins que d'ici là, l'éditeur m'aura persuadé d'en changer pour quelque raison.