lundi 11 juillet 2011

Vendredi 11 juillet : petites peurs balnéaires


Coïncidence : ce matin, le quotidien Haaretz (qui le vendredi pèse trois kilos car il comporte un certain nombre de suppléments en vue des après-midi lascifs à l’ombre des jalousies) consacre un article aux tags que l’on peut trouver sur les murs de Tel-Aviv. Le journaliste s’arrête sur trois d’entre eux. Le dernier évoqué, le plus drôle, propose, concernant Arkady Gaydamak, l’oligarque russe citoyen et philanthrope israélien recherché en France pour trafic d’armes, le slogan : « Gaydamak en a un petit ». Et le journaliste de s’interroger s’il s’agit d’une variation autour de la plaisanterie célèbre qui répond à la question « Comment peut-on être millionnaire en Israël » par la phrase « En étant arrivé milliardaire », ou s’il s’agit d’autre chose que je n’ai pas besoin de décrire. Un deuxième tag proclame : « Nietszche est mort. Avec mes respects, Dieu ». Quant au troisième, il s’agit de celui que j’avais remarqué sur un mur du boulevard Rothschild : « On ne veut pas, ce n’est pas nécessaire ». Le journaliste rappelle qu’accompagné de la barbe patriarchale de Théodore Herzl, le tag propose une réponse à l’une des dernières lignes du grand roman utopiste Pays ancien, pays nouveau dudit Herzl, phrase devenue l’un des slogans du sionisme politique : « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve ».
La mer était bonne ce matin, les méduses ont l’air d’avoir pris la poudre d’escampette, qui s’en plaindra ? Je suis descendu avec mes trois kilos de journaux, je commence par un bain d’une vingtaine de minutes, nage jusqu’à la digue et retour, m’aventure au-delà histoire de me faire (un tout petit peu) peur, l’impression d’être en haute mer, les vagues sont évidemment plus creuses que sous la protection des monceaux de rochers. Et si j’étais pris tout à coup d’un malaise, hors de vue des sauveteurs, seul au milieu de la mer, toujours la même et toujours différente, qui aujourd’hui serait meurtrière. On trouverait mon baise-en-ville, un petit sac de coton qui est l’emballage dans lequel on m’a vendu une chemisette pour Simon chez Loft, sur lequel est imprimé la sentence « Art is a dirty job but somebody’s got to do it », il me va bien au teint ce slogan, on trouverait ma serviette imprimée d’une autre sentence de Ben : « Je suis unique au monde », un cadeau de ma belle-mère, fallait-il y voir un quelconque message ?, on trouverait mon téléphone, mes trois kilos de journaux qui ressemblent à s’y méprendre à ceux des voisins sauf que personne ne lit Haaretz sur cette plage, on lit Yedioth aharonoth ou Maariv, Haaretz est pour les ashkénazes qui blanchissent comme des endives derrière leurs persiennes et ne vont jamais à la plage, les gens qui se prennent pour des intellos, et on trouverait aussi trente shekels dans le baise-en-ville, et mes lunettes de presbyte, on ne trouverait pas mes clés car je les garde dans une petite poche de mon costume de bain (comme dirait ma belle-mère) destiné d’ordinaire aux préservatifs mais je n’en ai pas besoin pour venir à la plage, je ne laisse pas mes clés sur le rivage car je crains le pire, un vol, moi en slip de bain (comme on disait quand j’étais petit) et sandales et puis rien d’autre, impossible de rentrer chez moi, on trouverait tout ça et on ignorerait à qui cela appartient car je n’apporte pas mon passeport à la plage, on l’ignorerait jusqu’à ce que la mer rejette mon corps, la nuit suivante ou celle d’après, je n’apporte que le strict minimum car je crains le pire — un vol — mais je le désire un peu aussi — une noyade —, sinon pourquoi penserais-je à une telle mort plutôt que de jouir du plaisir de nager, de me sentir enveloppé dans cette eau à 27 degrés, d’écouter le rifraf des vagues et de sentir des spasmes de plaisir cependant que les vagues d’après la digue me balottent, quelque chose de ce bonheur que je ressentais étant enfant quand je jouais à la balançoire et que je m’exclamais une fois revenu sur terre : « ça fait guili au kiki », était-cela que l’on appelait dans le temps le bonheur des chemins de fer (Eisenbahnglück) et que l’on comparait à la jouissance sexuelle ? Et à Gaydamak, ça lui fait quoi quand il se baigne ?