jeudi 30 juin 2011

Lundi 30 juin : en remontant la rue Bialik




Université de Tel-Aviv. Je me rends au séminaire d’études yiddish qui s’y tient pendant dix jours. Quelques sommités du monde entier enseignent à des étudiants avancés pour former les cadres de la culture de demain et de la recherche universitaire en la matière. J’y retrouve des connaissances, dont Yitskhok, mon maître parisien à qui j’ai succédé il y a quatorze ans au poste de directeur de la Bibliothèque Medem. Les autres ?
   Vous vous souvenez, nous nous sommes rencontrés à Vilnius il y a trois ans, à l’époque j’étais à l’Université hébraïque mais à présent, j’ai commencé un doctorat à Berkeley.
Etc., etc.

Adina, la secrétaire de l’institut, me procure une carte gratuite pour utiliser la bibliothèque universitaire, pendant toute la durée de mon séjour. La France est la reine des réseaux, Israël celle de la protektsia, le piston.
À la bibliothèque, je déniche un petit guide sur la rue Bialik. Il raconte l’histoire de toutes les maisons. La rue est en réfection en ce moment. Elle est très ancienne : elle date des années 1920. Tout est relatif, dans une ville dont la première maison est sortie de terre en 1909.
En 1924, le poète Haim Nahman Bialik s’installe à Tel-Aviv. C’est un moment important pour la ville et la population juive de la Palestine sous protectorat britannique : Bialik a été l’un des écrivains hébraïques (et yiddish, on l’oublie souvent) qui ont donné son lustre à Odessa, grand centre de culture hébraïque jusqu’à la Révolution bolchévique. En 1921, grâce à Gorki, il put quitter le pays des Soviets qui misait sur la culture yiddish et persécutait les hébraïsants, et il continua ses activités à Berlin jusqu’à son arrivée en Palestine. Il est un phare, considéré comme le grand poète national, et pourra attirer d’autres intellectuels déterminants pour la culture hébraïque en Palestine, en pleine naissance. Il se fait construire une somptueuse maison au 22 de la rue, en face de l’hôtel de ville de l’époque, et publie une nouvelle édition de ses œuvres complètes pour en financer la construction. La maison est commencée en 1925 et Bialik l’habite à partir de 1926 quasiment jusqu’à sa mort en 1934, à soixante et un an. Les lundis et jeudis, il y reçoit la fine fleur de la littérature. Peu après la construction de la maison, la municipalité nomme la rue de son nom. Ainsi Bialik habite de son vivant Beith Bialik (La Maison de Bialik) au 22 de la rue Bialik.
L’objectif de la rénovation est d’en faire l’une des rues les plus belles de Tel-Aviv, tenter de lui redonner son charme de l’entre-deux-guerres. Un vent nouveau souffle sur la ville : on semble redécouvrir que Tel-Aviv fut un jour nommée « la ville blanche ».

Je dis à Moshik que j’ai élu domicile au café Hillel. Il rit :
— C’est comme si tu me disais que ton QG était le Macdo du quartier latin.

Je l’ai dit : je suis lost.

Gentil message électronique de Cécile : elle viendra à Tel-Aviv du 5 au 15 août. Elle ajoute : C’est vraiment pour passer du temps avec vous, sans vous embêter bien sûr. Cela sera émouvant et joyeux en même temps.

Émouvant car la première fois que je suis venu en Israël, en 1982, nous étions ensemble. Cécile, la grande bourgeoise catholique élevée au couvent des Oiseaux, m’avait convaincu d’effectuer le stage ouvrier obligatoire de notre grande école de gestion dans un kibboutz, et de ce voyage est parti mon retour à l’identité juive.

mercredi 29 juin 2011

Dimanche 29 juin : parfum de vieux papier




 Ma première station dans cette ville est pour la bibliothèque Franz Kursky. Elle a été fondée par des Bundistes, militants d’un parti juif révolutionnaire aujourd’hui quasiment disparu, dont le credo était : socialisme, diasporisme, yiddishisme, laïcité. Sans doute eût-il fallu mettre des tirets entre ces quatre mots, car l’un ne va pas sans l’autre : la Révolution ne pourra advenir que par le socialisme et la laïcité, en yiddish, pour les Juifs qui accèdent à une autonomie culturelle et politique en diaspora. En gros, (presque) tout le contraire du sionisme qui propose une solution en Terre d’Israël, en hébreu, et si au départ le mouvement sioniste penchait largement vers le socialisme et la laïcité, force est de constater que la société israélienne s’est totalement convertie au libéralisme à l’Américaine et que le religieux y tient sa place. Ces bundistes-là sont donc perdus au milieu d’un océan.
Au-dessus de la porte du 48 de la rue Kalisher (Hirsh Tsvi Kalisher était un rabbin sioniste du XIXe siècle ; la rue qui porte son nom abrite donc depuis de longues années une organisation anti-religieuse et a- — si ce n’est anti- — sioniste), écrit en yiddish, donc en caractères hébraïques mais dont la graphie un peu désuète paraît incongrue :

Arbeter-ring, Frants-Kurski-Bibliotek
Cercle des travailleurs, bibliothèque Franz Kursky.

Je pousse la porte, une odeur me saisit la narine : la même que celle de la Bibliothèque Medem que je dirige à Paris, ou plutôt le parfum qui régnait dans les anciens locaux de la rue René-Boulanger, celui du vieux papier et des planches en bois massif, noircies par les années,  d’un local peu aéré. Bella assure la direction administrative du lieu. À côté d’elle, un (très) vieux monsieur à moitié sourd. On m’offre un thé, dans un verre bien sûr. Bella crie :
Der yungermantshik iz der direktor fun der Medem-bibliotek in Pariz. Le jeune homme est le directeur de la Bibliothèque Medem à Paris.
   Vus ? Quoi ?
Bella hurle :
Fun der Medem-Bibliotek ! Medem ! Pariz ! »
   Ah ! Medem ! Pariz ! Vous connaissez Shulem ?
   Bien sûr.
   J’étais avec lui en Union soviétique, pendant la guerre. Et Mendl ?
   Oui, il est décédé.
   Il était avec mon frère au ghetto de Lodz.

Contre les murs, des livres, des livres et des livres, les mêmes qu’à la Bibliothèque Medem, des dizaines de milliers de livres en yiddish publiés dans le monde entier depuis le début du XXe siècle.
   Je suis pour trois mois à Tel-Aviv, je peux emprunter des livres ?
   Avec plaisir.
   Y a-t-il un catalogue ?
Bella me répond, un peu ennuyée : « Cela fait plusieurs années que je leur dis qu’il faut que nous en dressions un. Nous pourrions l’informatiser, mais ils me répondent que ça va bien ainsi. » Elle me montre : six tiroirs renferment de grandes fiches serrées les unes contre les autres. Sur chaque fiche, un nom d’auteur ; au-dessous figurent ses livres avec un numéro. Le degré zéro de la science bibliothécaire. Mais après tout, pourquoi pas ? Si les livres sont bien rangés sur les étagères…
Je demande un ouvrage : le deuxième tome de l’autobiographie de Melekh. On commence par ne pas le trouver puis on le déniche. La fiche n’était pas très claire : le tome 2 était indiqué cinq lignes sous le tome 1. Normal : il était entré dans les collections plusieurs années plus tard.
Ce qui est agréable, dans la culture yiddish ? Même à quarante-cinq ans, on est un yungermantshik.

Je passe des coups de téléphone. Je reprends contact, pour rompre la solitude, m’inscrire dans la vie d’une ville que je ne connais pas. Personne ne m’y attend. Je parcours les rues, à pied, à velo, je m’assois au café Hillel dont je ferai un point fixe pour travailler, lire le journal et répondre à mon courrier électronique. Je suis Lost in translation, comme dans ce film de Sofia Coppola, sauf que je comprends la langue. Je suis lost.

mardi 28 juin 2011

Samedi 28 juin : le temps de quoi ?



 Je n’ai toujours pas de connexion internet. Avec ma puce électronique, il semblerait que je ne puisse pas appeler l’étranger. Extra-territorial, comme inexistant au regard de la société contemporaine. Anne-Sophie et les enfants me manquent atrocement. J’ai le sentiment que l’on m’a coupé une jambe. Ils arrivent dans trois semaines. Comment vais-je pouvoir tenir ?
Je lis le journal, je n’arrive pas à écrire, je commence à paniquer : et si cette aphasie durait trois mois ? N’aurait-il pas mieux valu rester à Paris ? Pour la première fois depuis dix-sept ans, je vais avoir du temps, beaucoup de temps. Beaucoup trop de temps. Et si je ne parvenais à bien écrire que quand je sais que le temps est compté ?

lundi 27 juin 2011

Vendredi 27 juin : l'arrivée


Arrivé à trois heures de l’après-midi. À Esther, qui me confie les clés d’un appartement dans le quartier de Neve-Tsedek, je dis qu’il faut que je me dépêche d’aller faire des courses avant shabbath. Elle rit : « Tu es à Tel-Aviv, pas à Jérusalem ». Ici, les supermarchés sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Esther me dit que la connexion internet est en dérangement mais qu’elle réglera le problème dimanche, au plus tard lundi. Puis elle s’en va. Je me retrouve seul dans l’appartement, sans téléphone, sans internet. Depuis combien de temps cela ne m’est-il pas arrivé ? Injoignable. Pour ainsi dire seul au monde dans une ville que je connais à peine mais dont je comprends la langue.
La question du téléphone m’obsède : je vais m’acheter une puce, pour une heure de conversation, rue Allenby. Je suis à nouveau joignable, mais personne n’a mon numéro. Pour une raison que j’ignore, cette idée est étourdissante. Je fais mes courses, je me baigne au coucher du soleil sur la plage devant le Dolphinarium. Le soir, je prends le vélo qui est en prime avec l’appartement et je fais le tour de la ville. Je descends pour la première fois le boulevard Rothschild à bicyclette, il suffit de se laisser glisser jusqu’à Neve-Tsedek.

samedi 25 juin 2011

Le jour d'avant


J’ai désiré ce voyage. J’ai construit ce séjour. Dépensé l’énergie nécessaire pour obtenir la bourse qui me permettrait de vivre trois mois à Tel-Aviv. J’ai cherché des solutions pour y séjourner dans de bonnes conditions. Quinze jours avant le départ, je n’avais toujours rien pour les trois premières semaines, j’envisageais de changer mon billet mais je n’aimais pas cette idée, j’avais renoncé à trop de choses dans ma vie pour ne pas reculer cette fois. J’ai cherché à Jérusalem mais je connais trop bien cette ville, le projet était ailleurs.
Moumous m’a proposé sa maison au kibboutz mais je voulais Tel-Aviv parce que je ne la connais pas. Je l’ai longtemps détestée. Quand j’ai vécu à Jérusalem, coopérant au Consulat général de France, détaché au couvent de Ratisbonne, pendant un an et demi il y a vingt-cinq ans, je venais m’y baigner, une fois par semaine, j’y mangeais des soupes de kreplekh dans un bouiboui ashkénaze et je remontais le soir vers la ville que j’aimais. Il faisait trop chaud sur la plaine côtière, j’étais en nage au bout de dix minutes. Puis est venue la climatisation : je prenais froid à cause des changements brutaux de température. Je n’aimais pas cette ville. Pourtant, à la terrasse des cafés de la rue Dizengoff, on entendait volontiers parler yiddish, ce qui n’arrivait jamais à Jérusalem, il fallait aller dans les quartiers orthodoxes de la ville Sainte pour entendre cette langue que je comprenais mal à l’époque mais que j’aimais écouter. Elle y était parlée par des gens qui ressemblaient aux photos jaunies des ancêtres, difficile de s’identifier à eux. À Tel-Aviv, les vieux qui prenaient leur thé à l’ombre des orangers ressemblaient tous à l’oncle Simon et à l’oncle Hamou, peut-être les connaissaient-ils, avaient-ils milité au Betar ensemble en Pologne. Quand ces deux oncles venaient en voyage, j’imaginais qu’ils rencontraient leurs amis d’enfance sous ces arbres. C’est la seule chose que j’aimais de Tel-Aviv. La ville était sale, les vitrines poussiéreuses, les immeubles disparates, des fils électriques pendaient des balcons. Ses habitants n’aimaient pas Jérusalem, une ville folle dans laquelle je me sentais follement bien. On disait de Tel-Aviv qu’elle était peuplée de jouisseurs, d’opportunistes, de gens qui détestaient le judaïsme religieux et les traditions de la Diaspora. Alors je ne les aimais pas.
L’oncle Simon est mort, Hamou l’a suivi. J’ai appris le yiddish. La ville a-t-elle changé ou est-ce moi ? Le Bauhaus aurait eu raison de mon aversion ? On a commencé à nettoyer les façades, à combler les fissures des bâtiments. Je me suis autorisé à aimer ce qui me touchait — les années 1920, l’art déco. J’aimais le Trocadéro même si on le qualifiait de Mussolinien. Je me sentais bien dans le mobilier qui avait connu ses beaux jours sous Hitler. Étais-je coupable pour autant ? J’ai regardé Tel-Aviv d’une autre manière : en levant le nez. En admirant la courbe des balcons, la pureté des baies serties de métal qui apportent la lumière aux montées d’escalier. L’art déco, ici, était politiquement correct : construit par des persécutés, architectes allemands débarqués après 1933.

vendredi 24 juin 2011

Adina, Dory, Mathan, Moshik et les autres

 Adina. 44 ans. Née à Berlin d’un père violoniste juif et d’une mère allemande convertie au judaïsme. Avant la guerre, son père fuit le nazisme, se retrouve à Harbin en Manchourie où il apprend le russe, le chinois et le japonais, puis à Tel-Aviv en 1945, rejoint ses parents aux États-Unis, retourne à Berlin où il intègre, comme premier violon, le philharmonique dirigé par Herbert von Karajan. Adina s’est installée en Israël en 1986, elle s’y est mariée, est retournée à Berlin en 1997 avec son époux, est revenue à Tel-Aviv en 2001, puis Berlin à nouveau de 2003 à 2005, s’est fait plaquer et souhaiterait  retourner à Berlin mais ne le fait pas pour que ses filles grandissent à proximité de leur père. Dit souvent d’elle-même ani prussit (je suis Prussienne) et rêve en permanence du Ku’ Dam.

Aline. 52 ans. Née à Nancy. En 1973, ses parents, juifs laïques, voyant que leurs deux filles sont en train de devenir de parfaites petites lyonnaises oublieuses de leurs racines juives, s’installent en Israël. Le père trouve un poste d’électricien dans une municipalité au milieu du Néguev. Aline est la plus ancienne amie du narrateur en Israël : ils se sont rencontrés en 1985. Elle a été guide touristique et occupe à présent un emploi administratif à l’Université hébraïque. À cinquante ans, après une fécondation in vitro, elle a accouché de jumeaux qu’elle élève seule.

Aliza. Poétesse hébraïque. Veuve d’Uri-Zvi, en chignon. Vit à Ramat-Gan et se consacre largement à la mémoire de son époux. Non loin de chez elle, la rue Rehovot hanahar (Les Rues du fleuve) porte le nom d’un recueil de poèmes d’Uri-Zvi.

Alona. Romancière israélienne mondialement connue. Née en Ukraine. Vit à Tel-Aviv. Appelle un temps le narrateur Gilles hamoudi, « mon petit Gilles ».

Anne-Sophie. 50 ans. Épouse du narrateur. Est à Paris pendant une grande partie de l’action, sauf du 18 juillet au 18 août où elle vient le rejoindre sur les lieux. Longues conversations par téléphone et par mail entre eux deux.

Aviad et Yonathan. Deux charmants garçons, avocats. Aviad traduit du Pessoa en hébreu. Le narrateur habitera trois semaines dans leur appartement de la rue Frishman.

Bella. 60 ans. Née à Stockholm, fille de l’écrivain yiddish Yerakhmiel Brisk, rescapé du Génocide. Arrivée en Israël en 1968 pour une année d’étude au département de yiddish de l’Université hébraïque, tombée amoureuse. Veuve depuis 1998. Deux de ses enfants vivent à New York, le troisième est à l’armée en Israël. A décidé il y a quelques années de revenir au yiddish de sa jeunesse.

Benny. 37 ans. Né à Tel-Aviv dans une famille pratiquante. Son père, originaire de Pologne, a survécu au Génocide en trouvant refuge en Union soviétique. Après la guerre, vie de réfugié jusqu’à son arrivée en Israël. Sa mère, francophone, est née à Anvers. Benny est ce que l’on appelle, acronyme que le narrateur apprendra durant son séjour, un datlash (dati le sheavar), un laïc anciennement religieux. Il est rédacteur en chef adjoint du supplément « culture et littérature » de Haaretz, le quotidien intellectuel du pays. Il est aussi écrivain et traducteur. Il vit avec un garçon mais ses parents ne le savent pas, ou font mine de l’ignorer. Il passe un shabbath sur deux avec eux à Bnei-Brak, la banlieue ultra-orthodoxe de Tel-Aviv, le reste du temps à proximité du boulevard Rothschild et se promène entre deux mondes.

Cécile. 46 ans. Romancière française, publie sous un pseudonyme. Le narrateur l’a rencontrée il y a des lustres, le premier jour de leur intégration dans une prestigieuse école de gestion de la région parisienne.

Diplomate 1. En poste à l’ambassade de France. N’apparaît qu’une fois.

Diplomate 2. En poste à l’ambassade de France. A été formidable avec le narrateur pendant son séjour, accueillant, attentif.

Dory. 37 ans. Poète, traducteur virtuose et reconnu, notamment pour son adaptation en hébreu des Fleurs du Mal. Rédacteur de la revue littéraire Ho ! Donquichottesque. Ses moulins à vents sont l’establishment littéraire, auquel il finit par appartenir. Vit avec Moshik.

Esther. La soixantaine, les cheveux très courts. Née au kibboutz Ashdot Yaakov, enfin l’un des deux car après une scission, ils sont deux à porter ce nom. Le look d’une israélienne née dans un kibboutz que l’on reconnaîtrait au bout du monde. Gère l’appartement que le narrateur loue un temps à Neve-Tsedek.

Gil. 35 ans. Compositeur, pianiste virtuose et chef d’orchestre. Apparaît seulement au premier acte.

Jean. 43 ans. L’ami très cher qui écrit des mails de son bureau d’une grande maison d’édition parisienne.

Les enfants. Simon, quatorze ans, et Ezra, onze ans, enfants du narrateur.

Mathan. 37 ans. Né en Israël d’un père originaire de Galicie et d’une mère originaire de Pologne. Prépare un doctorat sur la littérature hébraïque et yiddish à New York au début du siècle. A perdu son père dans un accident de voiture quand il avait un an et demi. A un fils d’un an et demi. Évite de prendre la voiture ces temps-ci. Moshik dit de lui que toutes les femmes en sont folles et qu’il est le seul hétéro à faire du yiddish.

Melekh. Né en 1893 en Galicie. A vécu à Lemberg, Vienne, Varsovie, Melbourne, Buenos Aires, New York, Tel-Aviv, est mort en 1976 à Montréal. Poète yiddish, également auteur d’une autobiographie de 1500 pages, père de Yosl.

Moshik. 32 ans. Romancier. A habité pendant 6 ans à Paris. Est rentré à Tel-Aviv depuis deux ans. D’origine syrienne par son père, égyptienne par sa mère. Adore sa grand-mère Judith, francophone du Caire, qui roule les r comme Dalida. Vit avec Dory.

Moumous. 80 ans. Né à Bruxelles. A vécu caché en Belgique pendant la guerre. Père assassiné en déportation. Est monté en Palestine en 1945 et a vécu un an dans un village de jeunes. A interrompu sa scolarité pour se joindre au groupe fondateur du kibboutz Mishmar hanegev en 1946 (« j’avais peur qu’il ne reste pas assez de Néguev pour moi »). À la retraite (si tant est qu’un tel mot existe au kibboutz), a étudié l’histoire à l’université de Beer-Sheva et a soutenu une thèse de doctorat à la Sorbonne en 2006, sur un quotidien yiddish de l’entre-deux-guerres. Paradigme de l’autodidacte juif, espèce en voie de disparition.

Nathalie. 47 ans. Universitaire française, psychologue, épouse du conseiller culturel de l’ambassade de France.

Peretz. Né en 1895 en Ukraine. Poète yiddish. A vécu à Iekaterinoslav (ou Dniepopetrovsk, comme on veut), Kiev, Varsovie, Berlin, Paris, Londres, Jérusalem quelques semaines, puis Varsovie à nouveau, Kiev et Moscou. Exécuté sur ordre de Staline en 1952. Père de Simon.

Rami. Le cousin pas très proche par le sang mais si proche par le cœur. Né à Haïfa en 1958, d'une mère d'origine gréco-yougoslave née à Jérusalem et d'un père rescapé du Génocide, arrivé en Palestine après 1945. Marié à une juive Canadienne fille d'une Anglaise et d'un Hollandais, père re trois enfants. Le père de Rami était le cousin germain de la grand-mère du narrateur, un cousinage pas lointain donc, mais quand les familles ont été si décimées, les vivants se comptent. Rami vit à Mevassereth-Sion, un satellite bo-bo de Jérusalem situé sur la route de Tel-Aviv. Mevassereth s'est beaucoup peuplée dans les années 1990 des familles laïques de Jérusalem qui commençaient à se sentir moins à leur aise dans une ville de plus en plus religieuse.

Raphaël. 25 ans. Volontaire international à l’Ambassade de France. Fin littéraire. Le narrateur l’a connu quand il faisait environ quatre-vingts centimètres, à Jérusalem en 1984. Son père y était coopérant, comme le narrateur. Raphaël et le narrateur partagent leur admiration pour Antoine Compagnon, spécialiste de Proust, professeur au Collège de France.

Raphaël B. 52 ans. Né au kibboutz Regavim. Pilote sur El-Al. A vécu longtemps aux États-Unis, en Alaska notamment. A des enfants de trois femmes, en Australie, en Amérique et en Israël.

Roy. 37 ans. Né à Jérusalem dans une famille religieuse. A beaucoup étudié le Talmud à l’adolescence. A été journaliste en Allemagne, étudiant d’allemand en France. A appris le yiddish à Paris. Est retourné en Israël il y a trois ans. Prépare un doctorat de littérature sur le poète Avoth Yeshurun. Vit seul.

Sarah. 28 ans, née à Niamey. Amie de Raphaël, volontaire internationale elle aussi. Intelligente, charmante, cool. Des tas de copines de toutes les couleurs qui viennent lui rendre visite de Londres, Paris, New York.

Simon. 60 ans. Né en France, arrivé en Israël en 1974. Chercheur à l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialiste de l’antisémitisme, tout juste à la retraite.

Simon M. 70 ans. Né à Moscou. Écrivain russe, fils de Peretz. Après l’exécution de son père en 1952, relégué avec sa mère et son frère au Kazakhstan. Réhabilité en 1956. Arrivé en Israël en 1970. A un chien qui  regarde la télévision.

Uri-Zvi. Né en 1896 en Galicie. Fils d’un rabbin hassidique. Poète yiddish et hébraïque, grand imprécateur, arrivé en Palestine en 1923, député du parti de Menahem Begin à la première Knesseth. Mort en 1981. Adulé par certains en tant qu’immense poète, haï par d’autres (parfois les mêmes) pour ses idées radicales.

Velvl. Né en 1958 à Moscou. Arrivé en Israël en 1990 avec le premier avion constitué d’ex-Refuzniks d’URSS. Poète yiddish et quelques autres choses. Vit dans une implantation juive dans les territoires occupés.

Yosl. 87 ans. Peintre, fils de Melekh. Habite et peint rue Bilu, dans une maison qu’il a achetée avec de l’argent gagné à la Loterie nationale.

La mer. Toujours la même et toujours différente.

Figurants. Garçons de café, plagistes des deux sexes, chauffeurs de taxi, marchands de toutes sortes de choses, caissières russes, immigrants clandestins ganais, réfugiés du Darfour, soldats en armes, infirmières philippines en attente de cartes de séjour, touristes français sépharades, garçons et filles en tongs.