mercredi 6 juillet 2011

Dimanche 6 juillet : retour sur Uri-Zvi


Vu plusieurs fois tagué sur les murs de la ville le visage de Théodore Herzl coiffant l’affirmation : « On ne veut pas, ce n’est pas nécessaire ».
Je retourne à Jérusalem. Là-haut, sur la montagne, je me sens chez moi : le climat est celui que je préfère au monde — chaud et sec, frais le soir —, la lumière est sublime et sur le campus de Givat Ram où se trouve la bibliothèque nationale, l’air sent le cyprès et le bougainvillier. Je me plonge dans les lettres d’Uri-Zvi à Melekh : quelques dizaines de 1917 aux années 1940. Je découvre un garçon à la sensibilité à fleur de peau, obsédé par l’amour et fuyant le mensonge. Uri-Zvi est un grand poète, mais très décrié pour ses engagements politiques. Quand il s’est agi d’accepter les Wiedergutmachungen allemandes, les soi-disant réparations suite au Génocide des Juifs par les nazis, dans les années 1950, il n’a pas été tendre à l’adresse de David Ben Gourion. Quand une ambassade de la République fédérale d’Allemagne a ouvert, il a demandé des comptes pour les victimes du Génocide. Il exprimait une haine des non-juifs et des Arabes, mais c’était un grand poète. André Gide : « On ne fait pas de littérature avec des bons sentiments ». À la fermeture des archives, j’émigre vers la bibliothèque. Je commande Albatros et une œuvre de jeunesse In tsaytnroysh (Dans le murmure des temps), de la poésie en prose sur son expérience de soldat. Je passe deux heures à parcourir, sur un lecteur de microfilms, la vingtaine de pages de cette vision des champs de bataille de 1914, on est en plein expressionnisme. Ainsi, le style puissant d’Uri-Zvi est né dans les charniers de Serbie où se mêlent cadavres d’hommes et de chevaux, et au contact de la poésie de langue allemande. On a parlé de lui comme d’un poète visionnaire car il décrit en 1922 ce qui adviendra en 1942. Ce n’est pas totalement faux, si ce n’est que 1914 avait apporté sa ration de corps déchiquetés. Le poète décrit particulièrement bien le contraste entre la douceur de la nature (une source continue de jaillir et de s’écouler dans la vallée) et l’horreur du champ de bataille après un tir d’artillerie : les corps sanguinolents au sol, cadavres éventrés de chevaux et d’hommes, dont certains râlent encore, que l’on laisse sans sépulture, les arbres décharnés, calcinés.
J’apprends que Uri-Zvi habitait Nordia en arrivant à Tel-Aviv, fin 1923. Je cherche sur Internet : il s’agissait d’un quartier de baraques qui a perduré jusque dans les années 1960, puis a fait place au Dizengoff Center, une centre commercial, verrue architecturale au cœur de la ville. Où est l’âme du poète dans ces commerces vulgaires, ces tonnes de bétons coulées comme si elles n’avaient fait l’objet d’aucune vision préalable ?
Mon inquiétude : comment vais-je pouvoir transformer en prose romanesque la poésie et les éclats de vie de mes trois poètes ?

Moshik : « ça te dérange si je rectifie ton hébreu de temps en temps ? »
   Au contraire.
   Alors première chose : tu dis toujours kol-tuv pour prendre congé, mais ça ne se fait plus.
   J’ai l’impression de l’entendre tout le temps.
À Jérusalem peut-être, mais pas à Tel-Aviv. Je l’utilise seulement quand je veux signifier à quelqu’un de manière très formelle que notre conversation est terminée. Entre amis, on dit plutôt bye.