dimanche 25 septembre 2011

Jeudi 25 septembre : café Hillel, boulevard Rothschild


Un avion commercial passe au-dessus des têtes et masque une seconde le soleil d’automne, peut-être est-ce celui que je prendrai dans quatre heures pour rentrer à Paris.
J’envoie à Moshik :
— Dans cinq minutes, le 052 693 91 40 ne répondra plus.
Il m’appelle. Je lui dis : on croit que quelque chose se termine mais ça ne fait que commencer.

J’enfourche mon vélo, je me laisse glisser une dernière fois sur le boulevard Rothschild en pente douce jusqu’à Neve-Tsedek. Esther vient récupérer la clé. Shalom shalom.
Je retrouve Raphaël, qui, par hasard, prend le même avion. Taxi, enregistrement, contrôle de sécurité :
— Oui je parle hébreu, oui j’ai fait ma bar-mitsvah, oui je fréquente une synagogue et je suis directeur de la bibliothèque yiddish de Paris.
Dans la zone d’embarquement, nous croisons des centaines de Hassidim qui embarquent pour Odessa, direction Ouman et le pélerinage sur la tombe de rabbi Nahman. L’un d’eux tient, enrobé dans un châle de prières, les rouleaux de la Torah dans ses bras. Raphaël me dit :
— Regarde : il sourit à la Torah.

Du hublot, j’observe cette ville alanguie sur la mer. Vue de haut, elle ne pue pas. Elle est la ville blanche, la déesse Europe exilée en Orient. Les gens de Jérusalem sont venus pour la ville, pour le Temple de Salomon, pour la colline de Sion. Ceux de Tel-Aviv sont là parce qu’ils ne pouvaient aller ailleurs. Prenez cette pelletée de sable plantée d’immeubles Bauhaus et d’hôtels et déposez-la du côté de Trieste ou d’Odessa, personne n’y trouvera rien à redire.


Bien sûr, il y a les choses que l’on n’a pas faites, la visite de dévotion que l’on n’a pas rendue à Aharon Appelfeld, la petite synagogue de son enfance que Benny ne m’a pas montrée. Bien sûr, on ne dit pas tout dans un journal, on oublie des choses que l’on voulait raconter comme l’histoire des rues Plonit (Unetelle) et Almonit (Anonyme) qui ont été nommées ainsi parce que la première maison du quartier fut construite par Meir Getsel Shapira, un industriel de Detroit venu s’installer à Tel-Aviv après la Première Guerre mondiale. Un jour, Monsieur Shapira nomma la rue devant sa maison du nom de son épouse, et celle de derrière de son propre nom, mais Meir Dizengoff, maire de la ville, ne fut pas de cet avis et fit enlever les plaques de rues. En attendant de les renommer, elles furent appelées d’un nom temporaire qui, les années passant, devint définitif. D’autres anecdotes à propos de la naissance d’une ville sur les dunes seront pour un autre jour, une autre nuit, et ce ne seront pas les seules zones restées dans l’ombre des sycomores d’un été boulevard Rothschild. Le journal est une sorte de tentative d’épuisement d’un moment d’une vie, mais personne ne saurait épuiser ni un lieu comme Georges Perec l’a tenté ni un laps de temps. On est tenté de ne jamais arrêter, de dire que quelques jours après mon retour, le supplément littéraire de Haaretz me consacrait trois quarts de page, mais je l’ai déjà dit, que la grand-mère de Moshik est morte la semaine suivante et que Moshik portera sa mémoire tant qu’il vivra, que Gil m’envoyait un message électronique pour me dire qu’il avait lu et aimé Un amour sans résistance. Plus nous tentons de fixer le temps et de l’écrire, plus il nous échappe. C’est ainsi.

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