jeudi 11 août 2011

Lundi 11 août : quel dibouk en chacun de nous ?


Représentation du Dibouk, la célèbre pièce de Sh. An-ski. L’auteur l’a écrite en russe et rapidement traduite en yiddish. Ensuite, Bialik l’a traduite en hébreu. Quelques jours après la mort de Sh. An-ski à Varsovie en 1920, la pièce a été mise en scène en yiddish par la Vilner Trupe. La troupe Habimah de Moscou en proposa une interprétation en hébreu, la représenta dans toute l’Europe et fit sensation : c’était l’une des premières mises en scène de l’avant-garde russe montrées en Europe occidentale. Partie en tournée mondiale en 1926, Habimah décida de ne pas retourner en Union soviétique et s’installa à Tel-Aviv en 1928. La troupe est plus tard devenue le théâtre national d’Israël. Hana Rovina, la comédienne vedette de Habimah, fut la grande interprète du rôle de Lea dans le Dibouk. En 1937, un film en yiddish a été tiré de cette pièce, qui est devenu un classique du cinéma. Le Dibouk a été joué sur tous les continents. Il y a quelques années, un réalisateur de cinéma m’avait proposé de travailler sur une adaptation moderne du scénario, ce que j’ai fait. Le film n’a jamais été tourné mais ce travail m’a donné l’occasion de me plonger dans le texte yiddish, magnifique.
La mise en scène de ce soir est une adaptation pour trois comédiens et marionnettes. L’idée d’utiliser des marionnettes pour cette histoire de jeune fille possédée par l’âme de son défunt promis est excellente : quasiment grandeur nature, elles sont actionnées par les acteurs visibles en permanence derrière elles, de sorte que l’on a toujours la marionnette et son « âme » sous les yeux. Quand Léa est possédée par l’âme de Honen, la marionnette de Lea évolue avec Lea et Honen derrière elle, c’est très fort. Lors de la scène d’exorcisme de la fin, qui se joue entre la marionnette du rabbi et le comédien de Honen, je me mets à pleurer. Je songe au dibouk en moi, celui de mon grand-père Moyshe, qui m’a commandé tout ce que j’ai fait durant ces vingt-cinq dernières années en direction du judaïsme, et contre lequel ma famille s’est battue, en vain. Car on ne peut pas lutter contre un dibouk. La preuve, à la fin de la pièce, le rabbi parvient à faire sortir l’âme de Honen du corps de Lea, mais Lea meurt et son âme va retrouver celle de Honen quelque part dans les mondes supérieurs.
J’entends la traduction hébraïque de Bialik pour la première fois. La représentation a lieu dans les locaux de l’association Yung yidish, dont un des buts est de récolter les livres en yiddish, de les stocker et de leur retrouver éventuellement une nouvelle vie. Yung yidish se trouve au cinquième étage de la station centrale de bus de Tel-Aviv,  l’un des bâtiments les plus laids du monde. Les autobus arrivent au dernier étage et les étages inférieurs sont supposés être occupés par des boutiques, des stands de nourriture et des bureaux. Comme le lieu est entre le sinistre et le sordide, la moitié des emplacements commerciaux sont vides. Les couloirs sont à moitié déserts, les vitrines crasseuses. Yung yidish, qui manque cruellement d’argent, a trouvé un moyen bon marché de stocker ses livres et recevoir ses amis. L’animateur de l’association, Mendy, est un chanteur et un comédien yiddish talentueux, fils d’un diamantaire d’Anvers. Nous nous connaissons depuis vingt-cinq ans et nous croisons de temps à autre, à Jérusalem, Tel-Aviv, Paris ou Vilnius. La diaspora yiddish. Mendy est un garçon bohême et je le soupçonne de n’avoir pas choisi ce lieu uniquement pour des questions financières car il se satisfait assez d’espaces interlopes. Pendant la représentation, des ventilateurs sont branchés car le lieu n’est pas climatisé,  les hôtes distribuent des gobelets et de l’eau, attention aimable et appréciable. Le spectacle commence, et toutes les cinq minutes, le sol tremble, signe qu’un autobus arrive de Jérusalem, de Beer-Sheva, de Haïfa, d’Eilat ou de quelque autre ville du pays. Après la représentation, j’entends un vieux monsieur exprimer ses critiques sur le lieu et Mendy de répondre :
— N’est-ce pas emblématique de l’état du yiddish dans notre monde ?

Nous prenons un shirut pour regagner le centre-ville. Dix places, dix Français. En rentrant de Jérusalem, aujourd’hui, j’ai rencontré à la station centrale de Jérusalem mon copain Yvan de Paris. Nous avons voyagé ensemble. Dans l’autobus, sa copine dit :
— C’est drôle, on se croit tous légitimes et on considère les autres Français illégitimes.
La suite demain… 

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