Il est un livre que je recherche (mollement) depuis des années, que j’ai consulté il y a dix-sept ans à la Bibliothèque nationale de Jérusalem : le Livre du souvenir de Mogielnica, publié à Tel-Aviv en 1972 par les survivants originaires de cette bourgade de Pologne où mon grand-père maternel est né. En cherchant sur Internet, j’ai vu que l’ouvrage était consultable à l’association des Juifs originaires de Pologne, sise au 158 de la rue Dizengoff. Nous nous y rendons avec Anne-Sophie. Nous cherchons en vain l’association, sonnons au quatrième étage à l’association des Juifs originaires de Lodz. Une dame nous ouvre. Elle nous apprend que l’association des Juifs originaires de Pologne a été liquidée il y a quelques années. Nous repartons.
— Je ne suis pas surprise. Selon le site Internet, le secrétaire est mort il y a deux ou trois ans. À la lecture de sa biographie, il ressemblait à ces vieux ashkénazes atteints du syndrome du dernier des Mohicans.
À force de me voir m’escrimer à Paris dans les associations juives, Anne-Sophie repère aisément ces gens qui finissent par personnifier l’institution qu’ils dirigent, font le vide autour d’eux, n’assurent pas leur succession, de sorte que quand ils disparaissent, l’association s’évanouit avec eux.
— Mais pourquoi n’as-tu pas essayé d’en savoir plus ?
Anne-Sophie est ainsi : elle essaie de nouer un contact plus intime avec les gens, de les faire parler. Les flics finissent par déchirer les procès-verbaux qu’ils sont en train de lui dresser. Un jour, à un entretien d’embauche, elle a laissé le recruteur monologuer pendant une heure et demi sans ouvrir la bouche si ce n’est pour lui poser des questions sur lui.
— Il avait envie de parler de lui.
— Si tu n’as rien raconté sur toi, tu n’as aucune chance d’être prise.
Une semaine plus tard, il rappelait pour l’embaucher.
— Et si nous remontions ?
Quatrième étage, coup de sonnette. Anne-Sophie demande de son plus beau sourire si la dame détient des livres en yiddish, nous entrons, elle nous montre des rayonnages.
— Et que faites-vous de ces livres ?
— Rien. Vous pouvez les prendre si vous le souhaitez.
Nous repartons avec trente livres dont un annuaire des dynasties rabbiniques de Galicie en quatre tomes, que la Bibliothèque Medem ne possède pas encore. Après avoir expliqué ce qu’est cette bibliothèque, la dame nous remercie pour le travail que nous faisons.
— Merci pour ces livres.
— Quand on veut recevoir, il faut savoir donner.
Une autre petite dame, native de Lodz, rescapée du ghetto de la ville liquidé en 1944, nous dit :
— Mais vous n’êtes pas comme ces Français qui débarquent à Tel-Aviv au mois d’août et se promènent le ventre poilu sortant de la chemise. C’est terrible, ils rachètent tous les appartements, de sorte qu’en hiver, le quartier est mort.
L’après-midi, rendez-vous avec Benny, chez Mazarine.
— Un jour, la psychothérapeute de ma mère lui a dit : « ce que tu me racontes sur ton fils me laisse penser qu’il est homosexuel ». Ma mère n’est plus retournée voir la psy.
— Elle te l’a raconté ?
— Je l’ai su par l’une de mes sœurs. On ne parle jamais de ma vie sentimentale, mais je trouve la situation pesante à présent.
— Tu vas leur en parler ?
— Peut-être pas directement, mais un jour, cela sortira dans la conversation.
Il remarque sur l’écran de mon ordinateur la photo de mon fils aîné devant les Alpes suisses, prise à Verbier, dans le Valais. Il me demande si c’est en été ou en hiver. Je ris :
— En hiver, bien sûr ! Mon fils est en anorak de ski !
— Je ne suis pas habitué à ces paysages.
— Ce jour-là, devant ces sommets de plus de 3000 mètres se déroulant à 360° autour de moi, j’ai ressenti une de mes plus fortes émotions panoramiques. La fois précédente, c’était en haut du Mont Moïse, dans le Sinaï, en 1985.
Et après un instant :
— Tu vois, les promenades en montagne avec mon père l’été, c’est comme pour toi l’office du shabbath avec le tien : le besoin de fuir une situation étouffante.
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