Je vais au-delà de la digue, en pleine mer. Seul au milieu de l’eau. Seul. J’enlève mon maillot de bain, le rifraf de la mer joue avec mon sexe, je me sens léger. J’enturbanne mon maillot autour de ma tête, mieux qu’autour de l’épaule, je me sens plus nu.
La mer n’est pas très propre, des petits bouts de plastique sont brinqueballés par les eaux.
Dory m’a prêté un recueil de poèmes de Nathan Alterman. Je déchiffre à l’aide d’un dictionnaire hébreu en ligne. La poésie est en train de se donner à moi, sentiment de conquête, comme si j’entrais par effraction, comme si je pénétrais une femme lacive, ou un homme.
J’essaie de traduire Pgisha im Sutskever (Rencontre avec Sutzkever), un poème de Dory, scandé et rimé. La difficulté consiste à trouver une forme en français qui ressemble à du Dory en hébreu, donc rimée, mais pas forcément en conservant le même nombre de pieds car les deux langues fonctionnent différemment. Il convient également de transposer quelque chose de la modernité du poème, qui use de rimes surprenantes : la locution Diet Sprite est l’objet d’un enjambement, Diet à la fin d’un vers, Sprite au début du suivant.
En sortant de Beth Ariela, je vois deux bougies brûler, en souvenir des deux soldats Ehud Goldwasser et Eldad Regev, dont les corps ont été restitués la semaine dernière. Jeudi, Esther m’a dit : « Aujourd’hui, c’est un jour triste pour Israël ». C’était le jour de la restitution des corps. Le pays était en émoi, en deuil, et je ne m’en rendais pas compte. Cette émotion nationale serait assez impensable en France, quoiqu’on nous ait gentiment tenus en haleine avec Florence Aubenas et Ingrid Bétencourt, comme si l’avenir du monde avait dépendu de leur destin. Il y a quelques années, quand une séquence a été diffusée montrant Florence Aubenas dans sa geôle, belle manipulation des affects de l’Occident par quelques maîtres-chanteurs orientaux, j’ai dit à mes enfants qui regardaient la télévision : « Elle aurait pu se laver les cheveux pour passer à l’antenne ». C’est devenu une plaisanterie récurrente à la maison.
Quand, le lendemain, j’ai vu Esther pour lui restituer les clés de l’appartement que je quittais, elle m’a reparlé de ces corps, et m’a dit, en parlant de leurs ravisseurs du Hezbollah : « Elu khayoth, quelles bêtes sauvages ! » Et laisser des femmes palestiniennes en route vers l’accouchement poireauter aux check points jusqu’à la fausse-couche, ce n’est pas sauvage, peut-être ? Il faudrait un jour se décider à faire la paix entre sauvages, malgré tout. On l’appellerait « La paix des bêtes sauvages ».
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